< Retour menu Textes
Index des noms propres >
Note de l'éditeur : il se trouve que c'est le deuxième article du quotidien Libération que Robert Vivian commente. Concernant le sujet de cette croissance sénile du Mont-Blanc, tous les médias, à l'envi, ont repris l'information. Il s'agit donc bien ici de remettre en question une information plutôt que de mettre en cause un journal que, au demeurant, Robert Vivian apprécie car il fait partie de ceux qu'il lit.
La montagne la plus haute dEurope est finalement
encore plus haute. Cest linformation rendue publique
hier par Pierre Bibollet président de la chambre des Géomètres
experts de Haute-Savoie. Le Mont-Blanc mesure donc 4810,40 m et
non 4807 mètres. La révélation de ces nouvelles
mensurations a été possible grâce à
linstallation de deux antennes satellites supplémentaires
au sommet de la montagne. A noter : le Mont-Blanc grandit malgré
lérosion. Explication dAlain Morel, professeur
de géographie physique à lInstitut de Géographie
alpine de Grenoble : « Les chaînes montagneuses comme
les Alpes, lHimalaya et la cordillère des Andes sont
récentes et liées au rapprochement des plaques.
» Pour les Alpes « la poussée est de 2 à
3 millimètres par an. Lérosion réduit
cette poussée mais le solde est positif et le massif grandit
» poursuit-il. Le Mont-Blanc gagne donc officiellement 3,40
mètres, tandis que lEverest, soumis aux mêmes
vérifications, avait perdu presque deux mètres.
Explication de la passion des géomètres pour ces
mesures : « Redonner de lintérêt à
notre profession » déclare Pierre Bibollet. Les 2000
géomètres français emploient 10000 personnes
mais ont « du mal à trouver du personnel qualifié.
»
Ainsi donc la voilà la raison de cette information à sensation. Les géomètres français veulent se faire de la pub ou de la contre-publicité, car avouons-le, linformation, telle quelle nous est présentée, laisse pantois.
Quavec leur nouveau réseau de mesure les géomètres de Haute-Savoie aient enregistré le jour de la mesure : 4810 m et 40 cm ne peut être mis en doute mais là où le bât blesse :
- cest que, dans le commentaire, qui est fait de linformation brute, on ne nous dise rien sur la réalité du Mont-Blanc, sur la calotte de glace dau moins 30 à 40 mètres dépaisseur qui constitue sa partie sommitale et qui, sur le plan de sa morphologie, est en perpétuelle évolution (évolutions inter-annuelles, inter-saisonnières et même inter-journalières attestées par de nombreux témoignages de scientifiques etc.). Dès la fin du XIXe siècle, Joseph Vallot avait percé le mystère (lisez ses Annales de lobservatoire météorologique, physique et glaciaire du Mont-Blanc, vol.1, 1893.). Il est donc étonnant que les topographes savoyards aient pu, dans leur réflexion, faire limpasse de cette donnée fort connue... Et que lon puisse faire accroire par le truchement dun tiers (le média + le référent universitaire) que cest le bloc montagneux tout entier qui a subi la surrection de 3 mètres et des poussières.
- cest que lon ne sétonne pas davantage dêtre en contradiction avec dautres spécialistes de la mesure topographique, ceux qui à la fin du XIXe siècle mesuraient 4811 mètres (en 1890), puis 4810 mètres, chiffre avancé par les Vallot jusquà 1907, date à laquelle ils fixèrent laltitude du Mont-Blanc à 4807 mètres (consultez leur Réseau trigonométrique du Massif du Mont-Blanc publié à la fin de leurs travaux en 1924). Depuis, les ingénieurs topographes de lIGN, il y a quelques années en 1986 , nous ont annoncé une altitude de 4808,40 mètres.
Deux mètres de différence de niveau enregistrés sur le bloc montagneux (le rocher... pas la glace !) en 15 ans entre 1986 et 2001 auraient dû alerter les plus perspicaces des analystes tant léventualité dune telle variation est improbable et même complètement abherrante, nous lavons dit ; il suffit de penser à ce que lon fait dire à A. Morel : la poussée verticale est 2 mm par an environ : cela représente 3 cm en 15 ans , 20 cm en 100 ans ! Comparez.
Une tentation aurait pu être aussi de penser que « les autres » (les anciens et les contemporains) aient eu tout faux dans leurs calculs ! mais à ce point !! Non, la raison est ailleurs.
Alors, que croire ?
Laltitude du sommet du Mont-Blanc est éminemment variable : elle oscille sur un siècle entre 4810 mètres et 4807 mètres. Tout cela est normal car le sommet est fait de glace et non de rocher. Lingénieur suisse X.Imfeld qui est le seul à avoir, en 1891, effectué des investigations sur la nature et la topographie du sommet du Mont-Blanc, en a laissé témoignage : « Le sommet du Mont-Blanc, comme vous le savez, est formé dune espèce darête de neige, presque horizontale et dune longueur de 100 mètres à peu près (est-ouest). Les guides de Chamonix ont observé au sommet du Mont-Blanc une grande et profonde crevasse (de lordre de 80 à 100 mètres), courant du Nord au Sud et qui tranchait le sommet en deux moitiés, une de lEst, une de lOuest. Il me semble donc peu probable quon trouvera le rocher par une galerie latérale, rocher qui na pas été trouvé par le tunnel (creusé à laltitude 4796 mètres) qui dépasse aujourdhui de quelques mètres le point culminant du sommet et qui na pas été observé dans ce temps-là au fond de la crevasse ». (Rapport général sur les travaux de sondage au Mont-Blanc exécutés pour le compte de Monsieur lIngénieur Eiffel, dans les mois daoût et septembre 1891, par X. Imfeld, ingénieur).
Ne mélangeons donc pas les problèmes : surrection des montagnes (surtout considérée à travers la seule vision théorique du problème) et variations des altitudes du sommet du Mont-Blanc peuvent ne pas aller de pair.
Indépendamment de la précision de la mesure et de la qualité des opérateurs, exhaussement et abaissement du point haut du Mont-Blanc sont avant tout des signaux symptomatiques des modifications de la calotte glaciaire et plus généralement de la vie des glaciers environnants, eux-mêmes témoins imparfaits on le sait, des données du climat.
Mais au fait
! que vient faire cet accroissement
symbolique de la masse glaciaire du Mont-Blanc dans une période
dite de « réchauffement global » à base
daugmentation des quantités de gaz à effet
de serre ? Si vous voulez en savoir plus lisez, (ou relisez) mon
article : "NE FAISONS PAS DIRE AUX
GLACIERS CE QU'ILS NE DISENT PAS !".
Robert Vivian (05/06/2001)
< Retour menu Textes
Index des noms propres >