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ACTUALITES SCIENTIFIQUES

DU

PATRIMOINE GLACIOLOGIQUE

 

Canicule sur la France - Printemps-été 2003 :
premières réflexions...

 

1-UN EVENEMENT EXCEPTIONNEL

MAIS POINT RARE DANS L’HISTOIRE CLIMATIQUE DES DERNIERS SIECLES.

 

Ainsi va la vie sous les latitudes tempérées où, en matière de climat, l’exception confirme souvent la règle… et où, à chaque fois, chacun s’étonne sur ces « exceptions » qui pourraient devenir la réalité de demain.

Au XVIIe siècle, Madame de Sévigné évoquait déjà ces « dérèglements du climat ».

Mais bien avant elle, les chroniques avaient souligné les facéties du climat de l’ouest européen : périodes de grande sècheresse, phases de fortes chaleur, hivers sans neige ou hivers tardifs, années pluvieuses ou hivers précoces et fortement enneigés, tempêtes….

Et bien après elle, les phénomènes climatiques rares perdureront.

Les archives de la Société des Amis du vieux Chamonix regorgent de témoignages précieux …sur les hivers tardifs par exemple. Par chance cela s’est passé au XVIIIe et au XIXe, une époque où les sports d’hiver ne représentaient pas le gros de l’activité économique de la Vallée et dans un temps où l’année « commençait bien » lorsqu’il n’y avait pas de neige !!

-1744 : « L’an 1744 commença par un beau temps. On eut très peu de neige. Les mulets roulaient facilement toute la commune aussi librement qu’au mois d’août. Jamais homme vivant n’avait vu un temps si agréable dans cette saison. L’hiver commença le 9 mai… »

-1765 : « L’année 1765 débuta sous d’heureux auspices car depuis le 10 décembre jusqu’au 30 janvier on eut une température délicieuse. Le 24 février on partit pour aller travailler les vignes à Martigny…. »

-1783 : « Pour à l’égard de l’hiver, il fut tout à fait léger jusqu’au commencement du mois de mars, qui fit une grande quantité de neige le premier et le second jour… »

-1797 : « Janvier, léger, de même en février ..puis beau temps continu en février–mars. Hiver remarquable : manque de neige pour la luge ; début des labours le 8 avril. »

-1815 : « L’an 1815 commença bien et fut beau jusqu’au 11 mlars où il tomba beaucoup de neige. Nous avons commencé de semer le 8 avril. »

Au XXe siècle les sècheresses viennent pareillement bouleverser le bel ordonnancement du climat :

-1921 est le cœur d’un épisode sec qui s’étend sans interruption d’octobre 1920 à mars 1922. La Loire à Blois connaît un déficit de 57% sur ses débits moyens.

-1949. La Loire connaît ses débits d’été les plus faibles du siècle tandis que toute la décennie 1940-1950 connaît des sècheresses successives marqués par des hivers froids et secs et des étés caniculaires. Notons que ces années de sècheresse préparent le grand étiage glaciaire des années cinquante ( 100% des glaciers alpins sont en recul en 1950 d’après la commission glaciologique de l’Académie Suisse des Sciences)

-1976. La sècheresse est comparable en sévérité à 1921 mais est moins longue… encore que : elle ne dure que d’octobre 1975 à août 1976 !

-1989. Longue sécheresse de juillet 1988 à février 1990. Le semestre mai-octobre1989 est le plus sec depuis 40 ans. Du 1er novembre 1988 au 1er décembre 1989 : 13 mois pendant lesquels le déficit global est de 30 % en Bretagne. Les deux mois de juillet-août ont le même ensoleillement que 1976 mais septembre et octobre ont un ensoleillement supérieur de 50% à la normale.

Dans ce XXIe siècle débutant, la sécheresse de 2003 n’a cédé en rien aux périodes de chaleur du passé : de mai à septembre pour ce qui est de la longueur de l’épisode (donc sècheresse d’été mais aussi de printemps) mais surtout avec des températures caniculaires en juillet-août (proches de… et dépassant même 40 degrés centigrades l’après midi… en particulier sur le sud-est de la France). Paris retrouve des conditions climatiques enregistrées en 1873.

Au jour le jour les Français ont réappris à vivre la sécheresse et la canicule : le jour, baisser les volets tout en laissant les fenêtres fermées ; vivre dans l’ombre ; puis le soir à la tombée de la nuit ouvrir tout grand fenêtres et volets pour laisser pénétrer la fraîcheur nocturne, tout spécialement celle du petit matin.

Survivre en somme, à la calamité… ce que n’ont pu faire nombre de nos aînés aux organismes affaiblis et aux conditions de vie difficiles, dans des structures d’habitation peu adaptées (murs minces, absence de climatisation…). Le drame sanitaire a été immédiat et implacable : surmortalité avec 13500 décès dans la seule première quinzaine d’août… chiffre soulignant, si besoin était, l’exceptionnalité de l’épisode.

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2- UNE NATURE DESTABLISEE, AUX COULEURS DU DESASTRE.

Dans le sud-est de la France, peut-être plus qu’ailleurs, les effets de la canicule sur le paysage ont été spectaculaires : herbes grillées par le soleil, pelouses dessèchées aux couleurs jaunâtres, buis ravagés et brunis par la chaleur dès le mois de juin, feuillus - en juillet - aux couleurs rouilles de l’automne donnant l’impression de secteurs ravagés par l’incendie ; puits rapidement vidés et hors d’usage, cours d’eau taris dès la mi-juin ; faune aquatique en perdition avec obligation de « lâchers » d’eau depuis les réserves encore utilisables pour sauver ce qui pouvait encore l’être. Par ailleurs la disparition de la neige et de la glace facilitant la pénétration dans la roche de l’onde de dégel, les chutes de pierres se multiplient en montagne, augmentant les risques… qui s’ajoutent à ceux des crevasses très ouvertes et des fragiles amoncellements de glace.

Si cette année la majorité des cours d’eau sont entrés en étiages marqués, une catégorie d’entre eux pourtant a échappé au marasme : les cours d’eaux issus des glaciers et des zones enneigées de la haute montagne, principalement alpine. C’est qu’en haute montagne englacée, plus il fait chaud, plus l’ablation est forte et plus les émissaires glaciaires ont de hautes eaux.

Nous connaissons bien le fonctionnement des cours d’eaux glaciaires car ceux-ci ont été bien étudiées lors des sècheresses passées.

Si l’étiage peut-être total sur les cours d’eau ne disposant pas dans le périmètre de leur bassin versant de névés ou de glaciers, les bassins versants glaciaires et en particulier ceux couverts à plus de 20% par la glaciation locale ont vu leurs émissaires couler des débits très abondants . Il est connu que plus le pourcentage de glaciaire dans le bassin versant est grand (59% pour le bassin versant du glacier d’Argentière, 51% pour la Mer de Glace…à noter que ces valeurs tombent vite au fur et à mesure que l’on s’éloigne des fronts glaciaires : 36% pour l’Arve en amont du pont de la Joux), plus les débits spécifiques (l/s/km2) sont forts en juillet et surtout en août… mais aussi quelquefois en septembre (de 60 à 150l/s/km2).

H. Vivian écrivait à propos de la sècheresse de 1976, un événement considéré comme la série la plus extraordinaire sur le plan des déficiences de précipitaions et sur celui des excès de température : « la succession de sept mois secs terminés par deux mois de très forte chaleur présente l’originalité d’avoir perturbé en un même temps tous les régimes hydrologiques alpins de « l’ultra glaciaire » en haute montagne au « pluvial » dans l’avant pays ».

En cette fin août 2003 les services de l’EDF n’ont pas encore en leur possession les limnigrammes des cours d’eau grâce auxquels l’on peut visualiser leurs fluctuations et calculer leurs débits. Pourtant, on peut déjà dire que, plus que jamais, les torrents ont roulé, depuis la fin mai, de très hautes eaux.

Parce que l’évaporation-transpiration joue un rôle négligeable en haute montagne, on peut considérer que les débits écoulés dans les rivières (et mesurés à proximité des fronts glaciaires) constituent un reflet particulièrement fidèle du bilan des glaciers qui les alimentent et qui, eux-mêmes, ont beaucoup souffert de ces fortes chaleurs à très hautes altitudes.

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3-DES GLACIERS FRAGILISES PAR L’ABLATION, AFFECTES SURTOUT PAR UNE DIMINUTION D’EPAISSEUR PLUS QUE PAR D’INTENSES RECULS LINEAIRES. POURQUOI ?

 

Les variations glaciaires : des fluctuations en volume, en surface, en niveaux altitudinaux, en largeur et en longueur. Que choisir ?

Que choisir… La discussion ne date pas d’aujourd’hui ni d’hier. Au XIXe siècle déjà, Forel, Vallot, le Prince Roland Bonaparte et beaucoup d’autres dans les différents pays alpins avaient réfléchi au problème !!

Au regard des fluctuations climatiques, c’est en terme de volumes que doit s’exprimer l’évolution des masses de glace… et, de fait, l’idéal serait de n’utiliser pour parler des variations glaciaires que de volumes mesurés. Mais ce sont les « volumes » qui sont les plus difficiles à chiffrer. Sur un effectif de plusieurs milliers de glaciers alpins, ceux dont on mesure le « bilan glaciaire » se compte sur les doigts des deux mains… De plus, ces résultats - calculés à partir de modèles, donc pouvant être sujets à caution selon les hypothèses choisies - concernent des périodes de temps relativement courts (un peu plus de cinquante ans pour le plus longuement suivi, le petit glacier de Sarennes dans les Alpes Dauphinoises… quelques années à quelques dizaines d’années pour les autres). Au contraire, jouant sur la durée des enregistrements (122 ans) les relevés de longueur et d’épaisseur (profils transversaux ) peuvent se révéler d’excellents indicateurs – quoiqu’imparfaits - des fluctuations climatiques. C’est ce qu’ont bien compris les glaciologues suisses qui, sous l’égide de l’Académie Suisse des Sciences publient chaque année, dans la Revue du Club Alpin Suisse, depuis 1880, les variations de longueur de leurs glaciers (travail effectué pour 105 glaciers) ainsi que les quelques résultats des études de bilan de masse (pour 10 glaciers et depuis les années 60 seulement !).

Qu’est-ce qui fait fluctuer les glaciers ?

La croyance générale des personnes préoccupées de glaciologie est que l’évolution des glaciers dans les Alpes est conditionnée principalement par une mystérieuse combinatoire des chutes de neige hivernales (alimentation) et des températures estivales (ablation). Or, depuis longtemps, on s’est aperçu qu’une chute de neige estivale de plein été pouvait retarder l’ablation de plus d’un mois (et il est vrai qu’il peut neiger en été: cette année 2003, en pleine canicule il neigeait le 1e juillet sur les hautes pentes de l’Iseran à plus de 2500 mètres) et depuis plus d’un siècle, on sait aussi que le rôle des conditions climatiques printannières est essentiel. Etudiant les données météo enregistrées sur près de deux siècles au col du Grand Saint Bernard (alt.2473 m), le glaciologue italien F. de Gemini avait observé et noté (en 1966) les altitudes moyennes des isothermes 0 ° C aux différentes saisons : 2510 mètres au printemps ; 3804 mètres en été ; 2835 mètres en automne et 820 mètres en hiver . Lorsque l’on sait que l’altitude moyenne des glaciers alpins est de l’ordre de 2500 mètres (avec des exceptions pour les grands glaciers qui peuvent descendre plus bas … jusqu’à 1300 mètres au glacier des Bossons), on peut comprendre pourquoi ces conditions printannières sont capitales.

Elles le sont d’autant plus que, si l’été les moyennes thermiques sont toujours plus élevées qu’au printemps, leurs variations inter-annuelles sont faibles ; au contraire, les valeurs printannières subissent des variations inter-annuelles qui peuvent être fortes et de ce fait ce sont elles – et non les températures de l’été- qui font la différence en période d’ablation. C’est la raison pour laquelle les fluctuations des fronts glaciaires sont si intéressantes à étudier.

Les refroidissements printanniers peuvent, en bloquant le cycle de l’eau (gel des eaux aux températures négatives), freiner la descente des glaces et stopper l’ablation. Et, de fait, lorsque l’altitude de l’isotherme de printemps baisse, les glaciers avancent (exemple de la baisse de près de 500 mètres de cet isotherme entre 1955 et 1960 qui facilita la crue glaciaire des années 1960-1985) et vice-versa pour des années telles que celle que nous venons de vivre.

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Les réactions des glaciers aux fluctuations climatiques

En glaciologie personne n’ignore la métaphore de la « baignoire ». Regardez se vider votre baignoire dès lors que vous avez enlevé le bouchon d’évacuation du bain. Dans un premier temps du fait de la verticalité des rebords de la dite baignoire, le niveau de l’eau s’abaisse sans que la superficie du plan d’eau ne soit elle même affectée par la disparition d’une partie de l’eau. Par contre à la fin de l’opération, lorsqu’il ne reste plus que quelques centimètres de liquide vous allez voir les derniers litres d’eau évacuer à grande vitesse votre fond de baignoire jusqu’au trou d’évacuation, la pellicule d’eau restante effectuant un recul rapide.

Replacez vous maintenant au cœur de la montagne englacée : la baignoire, c’est l’auge glaciaire, l’eau du bain, c’est la glace, etc. Vous comprendrez vite pourquoi sur les grands glaciers (plusieurs dizaines à plusieurs centaines de mètres d’épaisseur), le coup de chaud de cet été 2003 se manifeste majoritairement par des baisses du niveau de la glace plus que par d’intenses reculs sur les fronts… et que sur d’autres glaciers « en perdition » (faible superficie, position d’adret, altitude moyenne relativement basse) le recul soit très sensible. La baisse des niveaux à tous les étages des glaciers a été ressentie d’autant plus fortement qu’exceptionnellement l’altitude de l’isotherme 0 degré centigrade a été, cet été 2003, haut perché dans le bloc montagneux (proche de 4200 mètres). Il n’y a plus eu comme chaque année : une zone d’alimentation - en haut du bassin versant - et une zone d’ablation - en bas - mais une seule et unique vaste zone d’ablation.

En fin d’année budgétaire (septembre-octobre) de cette année 2003 marquée par un printemps sec et chaud et par un été caniculaire, nous devrions donc constater un très fort pourcentage de glaciers en recul… sans qu’il soit paradoxal pour autant que quelques-uns d’entre eux aient pu - à cause des forts débits des eaux sous-glaciaires lubrifiant la base du glacier - conserver une position « stationnaire » ou « en progression ».

Alors que retiendrons-nous de l’année 2003 ?

Canicule sur la France ! Oui mais… L’année 2003 n’est qu’un de ces épisodes extrêmes qui peuvent toujours survenir chez nous. Il y en aura d’autres ! Mais sans doute aurons-nous oublié !

Au niveau du drame sanitaire et des problèmes humains qui ont été rencontrés tout au long de ce long épisode chaud et sec de 2003, la question qui se pose à nous est sans ambiguité : pourquoi nos modes de vie sont-ils à ce point ignorants des excès (non anormaux) du climat tempéré dans lequel nous évoluons ?

Dans notre société qui aime à ce que tout soit prévisible et prévu en temps et lieu, qui pense que tout peut se négocier en terme d’assurance, de contrat ou d’assistance, force est de constater que nous sommes loin du compte ! Il est grand temps de revenir sur nos fausses croyances et crier bien fort qu’à côté des espaces de certitudes… bien minces, de larges espaces d’incertitudes subsisteront partout et toujours.

C’est la raison pour laquelle l’observation naturaliste - longue, continue, sérieuse… ingrate quelquefois - doit être privilégiée afin que son exploitation permette d’exprimer toute la complexité des phénomènes et d’accompagner nos politiques si souvent prises en défaut.

Robert Vivian, 31 août 2003

 

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