À vous tous, je dois affirmer que
je suis fervent régionaliste,
que je désire ardemment que toutes nos richesses soient
bien à nous,
et que lorsque nous irons déposer sur l'autel de la Pensée
les uvres écloses de nos Provinces,
nous nous ferons une gloire de graver en lettres d'or,
le nom de la ville, du village, du hameau qui nous aura vu naître.
Demongé Gaston, Aux gars de Normandie,
Fécamp, L. Durand & Fils, Impr.-Éditeurs, 1918.
Le Pays de Caux - à l'instar
de nombreux autres pays de France - occupe une place de choix
:
- dans le paysage littéraire (les uvres de
Maupassant, Flaubert...) ;
- dans le domaine architectural (richesse du patrimoine
bâti...) ;
- en géologie (la côte d'Albâtre...)
;
- sur le plan historique (de l'ancien territoire stratégique
des Calètes - ancêtres des Cauchois, ils contrôlaient
l'embouchure de la Seine... - à la Seconde Guerre mondiale...)
;
- dans le patrimoine linguistique (le dialecte cauchois
- qui a fait l'objet d'un lexique établi de 1985 à
1989 par la Fédération Départementale des
Foyers Ruraux, puis, sous le titre de La jeunesse d'Hormidas
Lavenu 1,
d'un nouveau lexique rassemblant mille et une locutions - différent
du patois normand, lequel possède son propre dictionnaire,
Le petit Roger 2) ;
- dans l'économie nationale (industrie, agriculture,
pêche, tourisme...).
Malgré cette renommée
et le nombre assez conséquent d'ouvrages (souvent régionaux)
qu'il suscite, il est difficile pour tout chacun de trouver les
contours géographiques du pays de Caux dans les livres
usuels (encyclopédies, dictionnaires...). C'est pourquoi
il m'a paru utile de proposer cette page sur le Web qui, je l'espère,
rendra service aux internautes, lesquels pourront l'enrichir en
y apportant des informations plus précises car je ne suis
pas un spécialiste de la question. Et même si je
suis un Rouennais et me sens tout de même un peu cauchois,
ne serait-ce que par ce dialecte que j'entendais dans mon enfance,
ne resté-je pas aux yeux des Cauchois un horsain ?
Mais les Cauchois aiment qui les aiment, étranger
ou pas. La preuve ? N'ont-ils pas fait leur le Père Alexandre,
conteur et écrivain, dont le lecteur intéressé
trouvera dans son passionnant livre posthume Le Père
Alexandre racontait...3 de très nombreux exemples de mise en situation
du dialecte cauchois (toujours traduits pour les profanes).
Enfin, en souvenir de mon enfance
mais également parce qu'il est aussi difficile de dessiner
les contours du pays de Bray que ceux du pays de Caux, des informations
seront également données sur le pays de Bray.
Il me souvient bien qu'enfant, à la question : "Où
se trouve le pays de Bray ? ", j'entendis plusieurs fois
les anciens répondre, non sans malice : "Dis-toi qu'
ma fess' drêtte et ma fess' gaöch' sont l'pays de Caux,
ben tu trouv'ras çu pays d'Bray au milieu !" 4.
Nous allons voir qu'il s'agit là d'une approche
caricaturale des pays de Caux et de Bray, et que la réalité
géographique est assez éloignée de cette
métaphore anatomique quelque peu triviale...
1 La jeunesse
d'Hormidas Lavenu ou mille et une locutions, expressions et proverbes
cauchois, Jean Hébert, Université rurale cauchoise,
Luneray, Éditions Bertout, 1994.
2 Dictionnaire du patois normand,
Le petit Roger, Roger Dubos, Condé-sur-Noireau, Éditions
Charles Corlet, 1994.
3 Le Père
Alexandre racontait... Reflet des veillées cauchoises,
Luneray, Éditions Bertout, 1991.
4 Je ne garantis pas la pureté
du cauchois que j'emploie,
et j'accepte volontiers les éventuelles corrections que
voudront bien apporter les internautes cauchois...
Les recherches ont été réalisées avec les seules ressources de ma bibliothèque dont j'ai déjà donné une partie des sources. Je suis convaincu qu'il existe d'autres réponses à la problématique posée, notamment sur le Web (sur le moteur de recherche Google, la requête "Pays de Caux" donne 200 liens et annonce plus de 4000 réponses...).
La carte de Géo 5 :
La célèbre revue de géographie a proposé une carte inédite des 420 pays qui composent la France en précisant, sur la carte détachable dont nous proposons un fragment ci-dessous, qu' "à ce jour, aucun document ne délimitait les 420 pays majeurs et les quelque 1800 micropays de l'Hexagone". Et d'ajouter que "selon les sources, le nombre de pays majeurs varie. Ainsi, la Datar (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale) en compterait environ 450. Pour le ministère de l'Environnement, il y en aurait entre 400 et 500." Cette citation a pour but avoué de préparer le lecteur aux approximations auxquelles il va devoir s'habituer s'il veut vraiment savoir à quoi ressemble la carte du pays de Caux, et corollairement, celle du pays de Bray.
L'extrait cartographique proposé est intéressant à plusieurs égards. Outre qu'il éclaire les autres cartes en permettant de situer les pays étudiés dans une vaste portion du territoire, il est le seul élément cartographique proposé ici donnant des limites claires au pays de Bray, et permettant de voir que ce pays, en majeure partie normand, sort à l'est des limites de la Normandie pour mordre dans le Beauvaisis où il s'arrête.
Par ailleurs, cette carte introduit la notion géographique de "Petit Caux" et celle de "Entre Bray et Picardie", ce qui discrédite l'approche d'un pays de Bray enchâssé en son ouest dans le pays de Caux. Comme nous le verrons avec la dernière carte proposée, le point faible de la carte de Géo concerne la frontière est du pays de Caux car elle laisse supposer que Rouen fait partie intégrante du pays de Caux. Enfin, Géo ne fait pas mention du Pays de Rouen (lui préférant l'appellation floue de "région rouennaise"), rencontré entre autres chez Raymond Mensire (voir infra), et dont les frontières ouest s'étendaient jusqu'à Duclair, Caudebec-en-Caux, comme son nom l'indique, faisant partie intégrante du pays de Caux.
5 Géo, n° 259, septembre 2000, carte détachable entre les pp. 70 et 71.
La
carte du Guide Vert Michelin 6 / Pays de Caux :
Le Pays de Caux est ainsi présenté par le
Guide Vert Michelin dans son édition de 1981 (p.
80) : "Ce massif plateau de craie blanche, recouvert d'un
manteau imperméable d'argile à silex et de limon,
monotone mais prospère, porte de grandes cultures. Délimité
par la Manche, la Basse-Seine et la vallée de la Bresle,
il est surtout connu pour son imposant front de mer. Au pied de
ses falaises crayeuses, dont un ciel léger et vaporeux
atténue la brutalité des lignes, se retrouvent chaque
année les estivants épris de beautés naturelles."
Ainsi donc, mais il n'est pas le seul, le Guide vert
donne pour frontière nord du pays de Caux la vallée
de la Bresle, la Bresle étant un fleuve (72 km) séparant
naturellement la Normandie de la Picardie. À tous égards,
cette vision territoriale du pays de Caux semble excessive. Pour
en être convaincu, il suffit d'observer la carte ci-dessous
(je l'ai préférée à celle de l'édition
de 1981 car elle propose les reliefs) : on se rend compte que
les obstacles naturels ferment naturellement le pays de Caux au
sud de Dieppe. Par ailleurs, le Guide Vert ne dit rien
quant aux frontières est...
6 Guide vert Michelin, Normandie, 1968, p. 81.
La carte du Guide Vert Michelin 7 / Pays de Bray :
La carte des reliefs proposée
ci-dessous a disparu de l'édition de 1981. Le texte accompagnant
l'édition de 1968 (mais c'est le même dans l'édition
de 1981) est le suivant : "Nid de verdure au milieu des vastes
étendues découvertes du plateau de Caux, le Pays
de Bray tire son originalité d'un accident de relief particulier
: la "boutonnière". Évidée ici
dans la craie, elle est responsable d'un paysage dont la netteté
de traits est inconnue ailleurs en Normandie".
Le Guide Vert ne tente même pas, dans aucune
des deux éditions consultées, de délimiter
le pays de Bray. L'intérêt de la carte ci-dessous
est de montrer cette "boutonnière" et de voir
que le pays de Bray sort naturellement de la Normandie.
7
Guide vert Michelin, Normandie, 1968, p. 64.
Les deux cartes du pays de Caux de Raymond Mensire 8 :
Les deux cartes proposées par Raymond Mensire semblent les plus justes ; en effet, elles sont le fruit d'un remarquable travail d'érudition historique au cours duquel l'auteur étaye ses choix et convainc le lecteur qu'ils sont les bons. Si nous avions un travail spécifique à réaliser sur le sujet, nous nous appuierions sur celles-ci.
8 Le Pays de
Caux, son origine, ses limites, son histoire,
Yvetot, Éditions de l'Imprimerie commerciale d'Yvetot,
1946, pp. 4 et 11.
À l'heure de l'uniformisation
européenne, conceptualisée sans originalité
sur le modèle américain par les technocrates arrogants
au seul service des lobbies financiers, et au regard des différents
découpages administratifs aberrants dont souffre notre
pays, il est essentiel pour les jeunes générations
de ne pas oublier leurs origines et de savoir comment s'est forgée
la nation française. Pour cela, la notion de pays, remise
au goût du jour il y a quelques années, semble être
un vecteur sur lequel peuvent s'aligner les données patrimoniales
et plus généralement culturelles, offrant la possibilité
aux jeunes de connaître leurs origines (originalité...)
sous un angle souvent mal connu. D'où l'importance de préserver
certains pans de cette culture de terroir non pas dans un but
de conservatisme mais dans celui d'aborder le présent et
le futur en toute connaissance de cause...
Concernant le pays de Caux et à propos des civitas
romaines, Raymond Mensire précise dans son fascicule :
"Il faut bien dire que ces petites autonomies locales ne
représentaient pas des états possédant constitution
et administration organisées ; mais il y a tout lieu de
penser que les Romains avaient aménagé leurs circonscriptions
d'occupation en respectant l'unité de race et de territoire
des premiers habitants et que, par conséquent la "Civitas
Caletorum" correspondait à la région où
vivaient les anciens Calètes. 9"
Les éléments proposés le sont avec humilité et ne demandent qu'à être enrichis. Merci aux internautes qui auraient des informations contradictoires et ou complémentaires de bien vouloir me les communiquer.
Nous laisserons le dernier mot à
Jehan Le Povremoyne, auteur cauchois s'il en fut, à propos
du cidre cauchois, un cru devenu d'une grande rareté à
l'époque de l'industrie agroalimentaire :
"Après fermentation, l'époque
où les bondes sautent des barriques dans une brouée
de mousse épaisse, giclera des fossets fins taillés
dans les pots et les cannes de grès, le cidre splendide
du pays de Caux : rouge ou jaune, sucré, piquant, un peu
sur pour vous gaillardir le ventre et vous mêler au sang
le sang même de la Normandie. 10"
9 Ib. p. 6.
10 Jehan Le Povremoyne, Les noces
diaboliques, Sotteville-lès-Rouen, Les éditions
A. Allais, 1974, p. 39.
Les internautes qui souhaitent retrouver
le pays de Caux dans l'oeuvre de Guy de Maupassant peuvent se
connecter sur l'excellent site de Thierry Selva : http://maupassant.free.fr
Patrick Pognant - 26 juin 2001
Consulter son site : www.pognant.net
Ceux qui s'intéressent à la langue et à la chanson normandes pourront trouver des informations intéressantes sur le site de l'association MAGENE :
Par ailleurs, nous préparons une bibliographie de la littérature et de la dictionnairique normandes et plus spécifiquement cauchoises que nous mettrons en ligne dans cette page, dès que possible...
P.P. (02/07/2002)